"DALL-E m'a tuer" par DALL-E sur une idée de Christian Dehais |
L'irruption de l'intelligence artificielle (IA) dans la production artistique, avec des outils accessibles comme DALL-E ou MidJourney, enflamme à nouveau un vieux débat qui tourne autour de ce qu'est un artiste, débat que l'on peut faire remonter au moins au 19ème siècle avec l'invention de la photographie que Charles Baudelaire considérait comme "la plus mortelle ennemie de l’art et du beau", tandis qu'Eugène Delacroix craignait qu'elle transforme l’artiste en "une machine attelée à une autre machine". L'apparition de l'informatique, et de tous les outils qui ont permis à l'art numérique de se développer, l'a bien évidemment relancé au 20ème siècle.
Aujourd'hui c'est l'IA qui jette de l'huile sur le feu. Schématiquement, il oppose parfois durement, les personnes qui pensent que l'artiste doit produire son art de ses propres mains, à ceux qui soutiennent qu'il a le droit d'utiliser tous les outils qu'il veut, l'important étant sa démarche artistique. Dans cet article je voudrais avancer mes arguments sur ce sujet, mais surtout y ajouter ma vision de ce que pourrait apporter l'IA à la production artistique dans un avenir que je crois très proche et qui me paraît assez inquiétant.
Si, à l'extrême, être un artiste était un pur savoir-faire sans aide d'aucune sorte, alors il faudrait s'en tenir au seul travail manuel réalisé par soi-même. Cependant, l'Histoire montre que beaucoup d'artistes renommés, pour faire face à la charge de travail ou pour le faciliter, ont depuis longtemps eu recours à des aides diverses. Michel-Ange faisait intervenir des collaborateurs pour la chapelle Sixtine, Canaletto utilisait une chambre noire, ou bien Hergé avait des coloristes pour ses Tintins. Doit-on pour autant remettre en cause leur statut d'artiste ? Je ne le pense pas.
L'autre version de la définition d'un artiste serait la capacité d'avoir une émotion, une vision ou une histoire, et de savoir la mettre en forme pour la transmettre au public. De ce point de vue, l'informatique s'est avérée un outil révolutionnaire qui a permis à de nombreuses personnes de s'exprimer de façon artistique mais qui, comme n'importe quel outil, réclame de bien le maîtriser. Pour parler de ce que je connais suffisamment, Gimp ou DAZ Studio demandent beaucoup d'apprentissage avant de sortir quelque chose d'à peu près montrable, parfois autant, sinon plus, que l'utilisation de pinceaux, de fusain, d'encre ou de peinture que je pratique aussi avec plaisir.
Voilà que l'IA est en train de changer ça aussi, car maintenant il s'agit seulement de maîtriser la requête qu'on lui soumet. Mais pourquoi pas ? Pour moi il ne fait pas de doute qu'un plus grand nombre encore de personnes accéderont à l'expression artistique, et c'est tant mieux dans un sens. Mais même avec cette nouvelle facilité, encore faudra-t-il avoir l'émotion, la vision, l'histoire...
Certains objectent que l'IA ne fait que piller des œuvres humaines existantes pour en produire une nouvelle. C'est indéniable, mais si on y réfléchit d'où provient l'inspiration d'un artiste "traditionnel" ? Ne fait-il pas lui-même, même inconsciemment, référence à sa propre culture, à ce qu'il a déjà vu, lu, entendu et qui ne vient pas de lui-même ? Là non plus je ne crois pas qu'on puisse trancher.
Si, en tant qu'outil, l'IA ne me pose pas plus de problème que Photoshop, il me semble que l'on peut prédire sans se tromper qu'elle permettra de générer une quantité encore plus importante d'œuvres dans un monde déjà bien saturé. C'est déjà un vrai problème pour les artistes qui souhaitent vivre de leur art, un déséquilibre classique de marché où il y a trop d'offre pour relativement peu de demande. Avec l'IA, ça va être encore plus dur.
C'est là que je voudrais pointer un autre risque que l'IA comporte en elle-même. Ce qui fait qu'elle est devenue performante aujourd'hui, c'est d'une part l'immense base de données à laquelle elle accède, et d'autre part une nouvelle puissance de calcul, qui lui permettent de fournir une réponse pertinente à une requête bien faite en quelques secondes. Pour nous rassurer et sans doute se rassurer eux-mêmes, les spécialistes insistent sur le fait que justement la requête doit être bien élaborée. A la limite, pas de requête, pas de production, et ça paraît logique.
Or je pense différemment. Au moins dans le domaine graphique, je crois que l'on pourrait très facilement programmer une IA pour qu'elle fonctionne en toute autonomie, sans requête, afin qu'elle aille chercher des images dans sa base de données, de façon aléatoire au début, les assembler de façon cohérente en quelques secondes et donc faire ses propres productions "originales" à une cadence infernale. Des publications automatisées sur les réseaux sociaux lui permettraient d'apprendre rapidement ce qui plait ou pas et d'affiner son travail.
Pour étayer mon propos je voudrais vous donner un exemple : par curiosité, j'ai demandé à ChatGPT de me dire ce qu'elle savait de moi-même. Or il se trouve que je suis un total inconnu sur le net. Au lieu de répondre "Je ne sais rien de Christian Dehais né le ... à ...", ChatGPT m'a inventé une biographie de rugbyman et d'entraineur reconnu dans la profession dont je vous donne la copie d'écran. Je peux vous jurer que je n'ai jamais joué au rugby sauf piteusement au collège, et que pas un mot de cette biographie n'est exact. En fait ChatGPT a ignoré ma requête et a créé de toutes pièces un personnage fictif mais plausible et cohérent. Transposez ça dans le monde l'art et imaginez les conséquences...
Pour aller plus loin dans mon raisonnement, j'ai eu l'idée de poser à ChatGPT cette question :
"Pourrait-on programmer une intelligence artificielle comme DALL-E pour qu'elle fonctionne de façon autonome, sans requête humaine, en créant des œuvres artistiques originales à partir de sa base de données, d'abord de façon aléatoire, puis en affinant ses propositions artistiques en fonction des réactions des gens ?"
Au bout de 3 secondes j'ai obtenu cette réponse étoffée qui, bien que teintée de prudence et de modestie, ne me contredit pas vraiment, en me donnant même quelques pistes pour y arriver :
"Oui, il est possible de programmer une intelligence artificielle (IA) comme DALL-E pour qu'elle fonctionne de manière autonome et crée des œuvres artistiques originales à partir de sa base de données. L'approche que vous décrivez, consistant à générer des créations artistiques de manière aléatoire et à affiner les propositions en fonction des réactions des gens, est une méthode couramment utilisée dans le domaine de l'apprentissage automatique.
DALL-E est un modèle d'IA développé par OpenAI qui génère des images à partir de descriptions textuelles. Il apprend à partir d'un ensemble de données d'entraînement composé de paires texte-image, et il peut ensuite générer des images qui correspondent à des descriptions données en entrée.
Pour le rendre autonome, vous pourriez lui donner la capacité de générer des descriptions textuelles de ses propres créations. Par exemple, après avoir généré une image, l'IA pourrait produire une description de cette image. Ensuite, vous pourriez utiliser cette description comme point de départ pour générer de nouvelles images, et ainsi de suite. Cela permettrait à l'IA de générer continuellement de nouvelles créations sans avoir besoin d'une requête humaine spécifique à chaque fois.
Quant à l'affinement des propositions artistiques en fonction des réactions des gens, vous pouvez utiliser des techniques d'apprentissage par renforcement. Par exemple, vous pourriez permettre aux utilisateurs de noter ou de donner des commentaires sur les créations générées par l'IA. L'IA peut alors utiliser ces informations pour ajuster ses modèles et améliorer ses futures propositions artistiques.
Cependant, il est important de noter que la création artistique est un domaine complexe et subjectif. L'appréciation de l'art varie d'une personne à l'autre, et il peut être difficile pour une IA de comprendre et d'incorporer pleinement les réactions humaines dans son processus créatif. De plus, la créativité et l'originalité sont souvent considérées comme des caractéristiques propres à l'être humain. Bien que les IA puissent générer des œuvres intéressantes, elles peuvent avoir du mal à atteindre le même niveau de profondeur et de sensibilité artistique qu'un artiste humain.
En résumé, il est techniquement possible de programmer une IA comme DALL-E pour qu'elle fonctionne de manière autonome et génère des œuvres artistiques originales en se basant sur des réactions humaines. Cependant, il y a des défis à relever pour que l'IA puisse vraiment capturer l'essence de l'art et créer des œuvres qui suscitent des émotions et des significations profondes chez les êtres humains."
En conclusion, si je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'IA aide la production artistique humaine, je crains fort qu'elle ne l'étouffe complètement et rapidement sous la masse de sa propre production autonome.
Notes :
- L'illustration de cette article a été réalisée avec DALL-E à qui j'ai demandé précisément "Un tableau dans le style de Van Gogh, représentant en arrière-plan un atelier de peintre. Un personnage ressemblant à Van Gogh avec une tête bandée, habillé comme un artiste du 19ème siècle, est allongé sur le sol, les yeux fermés, avec un pinceau dégoulinant de peinture rouge dans sa main. Derrière lui un chevalet de peintre avec une toile peinte en noir avec "IA m'a tuer" écrit dessus en grosses lettres rouges tremblantes"
- "DALL-E m'a tuer" fait référence à "Omar m'a tuer", phrase à la graphie incorrecte, devenue célèbre dans le cadre du meurtre de Ghislaine Marchal et de l'affaire Omar Raddad.
Christian Dehais
Version originale de "DALL-E m'a tuer" avant modification avec GIMP |
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